Une nouvelle révolution sexuelle est en marche !

Interview de June Pla, Créatrice de Jouissance Club

Il y a à peu près deux ans naissait le compte instagram @jouissanceclub "Sextips for creative lovers", au même moment on découvrait le clitoris jusqu’alors invisibilisé dans les manuels scolaires, savait-on alors qu’une nouvelle révolution sexuelle était en action ?
Si le féminisme et la révolution sexuelle des années 70 ont libéré le corps des femmes, qu'à-t-il fait de leur droit à jouir ?
Comme le rappelle l’historienne Bibia Pavard dans un article du Monde publié le 16 octobre 2020 par Anne Chemin, le « privé est politique ».

Le bouquin tiré du compte instagram paru aux éditions Marabout fait un carton !!
C’est un best seller, il est quasiment tout de suite en rupture de stock. Traduit en néerlendais, en catalan, italien et bientôt en allemand et en anglais cet engouement montre bien que le sujet, la sexualité, celle des femmes et par ricochet la sexualité de tout le monde et le rapport au plaisir reste une zone grise encore mal explorée. Et Jüne a enfin sa page Wikipedia !

Alors, en effet le tour de main réussi par Jouissance club est d’être inclusif, sans jugement, simple d’accès, léger et décomplexé dans le ton et pour finir éducatif ; car comment aimer et s’aimer les uns les autres ; prendre du plaisir ensemble si on ne connaît pas notre corps, notre anatomie et sa mécanique.

J’ai donc proposé à Jüne un petit rendez-vous pour revenir sur ce succès.

Comment on fabrique quelque chose qui parle à tout le monde ? Quelque chose d’inclusif à partir de quelque chose qui au départ ne l’est pas, le sexe ?

Au départ la démarche c’était plutôt de m’adresser aux mecs cis pour leur expliquer comment marche la sexualité de leur meuf, comment s’interesser à leur plaisir. Quand j’ai commencé à poster sur Instagram, je recevais des messages privés et des commentaires de la part de gens qui n’arrivaient pas à s’identifier dans mes posts. Ça m'a fait beaucoup réfléchir, remettre un peu mon projet en perspective. Je n’ai pas voulu refouler en bloc toutes les remarques et commentaires qui pointent du doigt mes erreurs sur internet ou bien les gens qui n’étaient pas satisfaits de ce que je postais. Tous ces commentaires mis bout à bout de personnes qui ont quelque chose à redire au discours m'ont permis de réfléchir à ce que je souhaite faire de ce compte instagram : est-ce que j’en fais un truc qui me parle à moi ou quelque chose qui parle à tout le monde ?

J’ai voulu les prendre en compte et en faire quelque chose de constructif, car pour moi le féminisme c’est aussi ça. Puis je les ai rencontré.

Qui sont tes lecteurs ?

J’espère que ce livre parle au plus grand nombre, cela dit la plupart des personnes qui m’écrivent sont des meufs cis-genre et hétéro qui ont des problèmes au lit. Les lesbiennes m’écrivent très peu par exemple. Des personnes trans m’ont dit “merci d’avoir pensé à nous c’est cool” lors de séances de dédicaces. Au départ ce livre et ce compte avaient pour but d’expliquer au mec cis comment mieux s’y prendre et ça se ressent d’ailleurs dans l’écriture du livre car c’est quelque chose qui me tient à cœur. J’essaye aussi de ne pas trop les pointer du doigt pour éviter qu’ils ne se sentent agressés et je ne veux braquer personne. Le but c’était de les toucher pour qu’ils s'intéressent à ce sujet-là, celui du plaisir de leur meuf.

Est-ce que « être féministe » aujourd’hui ce n’est pas justement aller vers quelques chose de plus inclusif justement ? Concilier en quelque sorte le féminisme de Beyoncé, Kardashian, Niki Minaj avec un féminisme plus militant comme celui de Simone de Beauvoir ou Virginie Despente ? et aussi réconcilier les sexualités dans toutes leurs dimensions ?

Oui je pense que le féminisme est pluriel qu’on a toutes et tous quelque chose à dire là-dessus. Personne n'a la même vision, la mienne se veut la plus large possible car je ne pense pas que ce soit très malin de lutter pour cultiver mes privilèges et en avoir plus de plus aux dépends de qui que ce soit ; je pense qu’il faut unir nos forces pour lutter contre le patriarcat.

Petite déconvenue, j’ai l’impression que pour les mecs cis le mot féministe résonne avec quelque chose d’excluant pour eux, et je vois que je n’arrive pas forcément à les embarquer.

Est-ce pour toi un défi de réconcilier l’hétéro sexualité avec les autres sexualités en étant inclusive et penses-tu avoir réussi ?

Moi je n’ai plus trop cette patience là, je l’avais au début, j’avais très envie de leur parler d’essayer de réconcilier tout le monde. Il y a des mecs déconstruits qui m’écrivent et ça me fait très plaisir, mais ils ne sont pas nombreux. Et quand j’ose faire une story un peu trop féministe radicale a leur gout t’inquiète que les messages des mecs qui se disent féministes mais, qui se disent qu’ils aimeraient bien qu’on arrête de leur taper sur les doigts j’en ai vraiment beaucoup. Donc, je n’arrive pas à me dire que j’ai réussi à les toucher ou à les faire changer d’avis sur une façon de voir les choses et j’ai le sentiment que je me suis perdue dans cette quête. Aujourd’hui j’ai plus envie de parler aux meufs, aux queers même si j’accueille les mecs les bras ouverts. Je n’ai plus envie de mettre de l'énergie à les convaincre.

Ça change du discours du livre car il y a presque un an depuis la sortie et beaucoup de choses se sont passées entre temps. J’ai l’impression qu’aujourd’hui beaucoup de meufs se prennent en plein face à la violence des mecs qui ne veulent pas comprendre qu’il y a une vraie urgence.

Ceci dit, il y a encore plein meufs qui ont encore l’énergie de rameuter les mecs de notre côté il y a une meuf qui a créé le compte @nosalliesleshommes qui est vraiment très cool qui a justement cette énergie. Je la soutiens à 100% de donner cette énergie d’essayer d’éduquer des personnes qui ne sont pas forcément perméables à tout ça. J’ai l’impression qu’on se passe le relais.

Si la révolution sexuelle des années 70 a libéré le corps des femmes, qu'à-t-il fait de leur droit à jouir ?

Chaque époque a eu sa petite révolution mais on est pas sorti d’une certaine inégalité sexuelle surtout dans l’hétérosexualité. Les hommes encore aujourd’hui, ont du mal avec le fait de se mettre un truc dans le cul par exemple. Pour eux c’est olala je vais paraître soumis, faible ou gai.

On a eu une révolution sexuelle comme tu dis dans les années 69 mais on a pas pris en compte le plaisir féminin dans sa globalité. C’est pour cette raison qu’il y a aujourd’hui une nouvelle révolution sexuelle car on nous avait oublié en fait. C’est fou qu’il y ait des meufs qui aient découvert leur clitoris avec Jouissance Club il y a deux ans ! Jusqu’à tout récemment le clitoris n’était même pas montré dans les manuels d’éducation scolaire.

Alors voilà je me dis que peut-être on s’est trompé que la pénétration n’est pas le graal de la sexualité. Que le gland du clitoris est aussi voir plus sensible que celui du pénis. On est fait pareil en fait et c’est uniquement en connaissant son appareil génital que l’on peut comprendre comment on prend du plaisir. Peut-être que c’est pour ça que je n’arrive à avoir des orgasmes qu’en me touchant en externe ahhh ok je suis normale en fait.

Comment as-tu trouvé le ton pour les textes ? Comment on construit un discours à la fois accessible, léger et engageant ?

Ba j’avais envie de m’amuser, pour moi le sexe c’est un jeu, c’est pas utile de trop le théoriser, c’est pas sérieux, même si c’est important. C’est aussi drôle,et çà mérite d’être raconté avec légèreté, humour, et parfois un peu de sérieux parce que c’est politique. Je ne voulais pas non plus perdre le lecteur je me suis dit s'il s’amuse aussi en le lisant c’est un plus. C’est définitivement un sujet qui se prête à l'humour.

Est-ce qu’on peut dire que c’est un livre sur l’amour ? L’amour de soi ?

OUI

Quel genre d’amoureuse êtes-vous Jüne plã ?

Moi je me suis beaucoup négligée pendant longtemps et c’est aussi pour cette raison que j’ai eu besoin d’écrire ce livre. Je ne m’aimais pas assez, je ne m’écoutais pas assez. J’avais plein de problèmes dans ma sexualité et malgré ça je continuais à vouloir me faire pénétrer parce que c’était comme ça qu’il fallait faire. Et là aujourd’hui avec ce livre, le compte instagram, les messages des gens j’ai appris à m’aimer plus et à m’écouter quand j’ai pas envie j’ai pas envie, quand j’ai mal ba stop. Si j’ai envie d’avoir un orgasme c’est moi qui choisi. C’est mon corps c’est moi qui choisi non pas la société qui me dit ce qu’il faut faire pour être poli.

Donc le sujet c’est aussi le consentement ? C’est parce que je connais mon corps et suis consciente de comment prendre du plaisir que je peux mieux appréhender le consentement ?

Oui c’est la base et ça peut prendre aussi tellement de forme, parfois être avec quelqu’un que tu aimes et te sentir obligée de faire l’amour pour ne pas le vexer ça peut te briser en fait. C’est le respect de soi et de l’autre.  Et c’est fou qu’on ne nous ait pas éduqué à ça. On arrive bien a savoir quand quelqu’un n’a plus faim par exemple. Ça se voit y a des signaux c’est pareil quand une personne n'a pas envie de faire l’amour. C’est souvent un problème de meuf d’ailleurs.

Comment t’es venue l’idée de joindre Odile Fillod ? et pourquoi elle ?

J’avais besoin d’être relu, j’étais allée chercher des informations sur internet sur l’anatomie, le squirt, les mécanismes de nos corps etc. J’avais trouvé plein d’informations sur internet mais je n’ai pas fait médecine et je n’y connais rien et on trouve beaucoup d’informations qui sont fausses en réalité. Odile Fillod a pris le temps de me voir, de relire ce que j’avais fait et de m’expliquer les choses concrètement, elle a été adorable. Elle m'a fait tout refaire j’avais retrouvé que des fausses informations sur internet comme tout le monde à sa petite opinion. Les gens ont tendance à prendre une information qui peut être très nuancée.

Parler du squirt par exemple il y a des gens qui pensent que çà vient de l'urètre d’autres de la vessie, plein d’encre à coulé sur les émissions fontaine ; mais finalement on ne sait pas d’où ça vient car on a pas réussi encore à savoir ce que c’est  et donc ce ne sont que des peut-être et c’est pour cette raison que dans mon livre je mets aussi beaucoup de « il parait » « on pense que » “mais c’est pas sûre » « peut-être » parce qu’on a tellement pas étudié notre plaisir qu’on a pas de certitude.

 T’as pensé à un partenariat avec l’éducation nationale ?

Si si justement j’y ai pensé faire un petit livret didactique, simple à lire, marrant avec des illustrations qui pourrait être distribué dans les écoles pour les éveiller à d’autres choses que juste le risque de grossesse et le HIV.

J’ai lu que tu travaillais sur une version 2 ?

Ça va être très beau, on va plus partir dans le arty j'espère toucher une autre population avec. J’ai travaillé dessus avec un graphiste, toujours chez Marabout, c’est le même livre mais juste plus joli avec des pantone, et beaucoup plus épuré.

As-tu lu un peu de littérature érotique ?

Oui j’ai eu de fortes émotions avec Histoire d’O (Pauline Réage), je voulais être cette femme. Ce n’est pas très féministe mais il y a quelque chose là-dedans qui m’excite beaucoup : l’abandon total, appartenir à quelqu’un qui sait mieux que toi.

Jouissance Club, comment on fait pour rejoindre le club ?

Je pense qu’il faut s’intéresser à son corps et au corps de l’autre. Avoir envie d’être curieux comme on est curieux de la cuisine ou de l’art. Apprendre a faire de nouvelles choses et ne pas rester sur ces acquis, avoir envie d’aller plus loin. D’ailleurs on me demande souvent en parlant du livre est-ce que c’est un manuel ? Oui on peut le voir comme ça mais c’est plutôt un tremplin pour inventer ses propres gestes et son propre style. J’y ai mis une centaine d’illustrations mais on pourrait en avoir des milliers en réalité. J'espère que ça éveille la curiosité des gens d’aller chercher plus loin. Sans pour autant se mettre la pression et chercher à faire des trucs de fou à chaque fois. Mais le but pour moi ce n’est pas de faire tout le temps la même chose. Après on peut aimer faire tout le temps la même chose.

Si le compte à autant de succès c’est que beaucoup de meuf se reconnaissent dans ce discours.

Je trouve que si les mecs exploraient un peu plus leur anus, leur rectum, peut-être qu’instinctivement ils remettraient en question leur place dans la société. Est-ce qu’ils ont besoin d’être viriles, pourquoi ils ne se feraient pas pénétrer ? C’est idiot mais je pense que se faire sodomiser ça rend sensible. Je respecte beaucoup les mecs qui m’écrivent et me demandent des conseils là-dessus, je trouve ça … j’ai pas envie de dire courageux car je pense que c’est normal mais je trouve çà sweet de leur part de ne pas avoir peur de passer pour un mec faible ou efféminé. Après on a le droit de ne pas aimer ça mais je trouve ça dommage de ne pas essayer.